Les DRH face aux enjeux de la transformation : rôle et légitimité ?

Publié le par Stéphane DEMARQUETTE

La transformation est-elle en train de devenir une fonction à part entière, échappant à la tutelle historique des DRH sur la responsabilité et le pilotage du "change" ?

Face à l'ampleur des transformations en cours, quel est leur rôle et leur véritable légitimité ?

Celles-ci dépassent largement par leur caractère global, leur complexité et leur exigence de rapidité, le cadre préexistant du 'change management'.

Les voies se démultiplient et s'entrecroisent : la "reine rouge" reste difficilement saisissable dans sa course.

Voies du numérique, de la culture, de l'organisation, des talents, des compétences, du leadership, de la coopération, voies du basculement ou au contraire de l'évolution maîtrisée...

Ce puzzle doit-il être orchestré et planifié, ou s'agit-il au contraire de faciliter l'adaptation organique de chaque métier et de chaque fonction ?

Le DRH est tributaire de sa relation avec le CEO, dans une relation d'interdépendance accrue avec ses pairs eu égard aux enjeux globaux de la transformation (business, technologiques, financiers...), mais aussi garant de l'engagement des collaborateurs et de la bonne santé sociale de l'entreprise.

Tout ceci représente beaucoup pour une fonction devant composer entre ses missions régaliennes, sa relation au business, sa relation à l'humain...

En même temps, les entreprises foisonnent d'initiatives, beaucoup de DRH font sauter le mythe de la copie parfaite pour s'engager dans l'expérimentation, la fonction descend de son chemin de ronde pour solliciter l'expérience collaborateurs, promouvoir la coopération et devenir facilitatrice.

Une nouvelle génération de RH, en phase avec les évolutions de son temps, frottée au corporate hacking et à la vie décomplexée des startups, entreprend d'inventer avec sa propre culture, ses propres postures et pratiques, la façon de transformer l'entreprise dans un exercice constant d'innovation au carrefour du business et de humain.

DU CHANGE MANAGEMENT A L'EVOLUTION ADAPTATIVE.

Le change management dans son modèle héritée du 20ème siècle, a vécu : décliner de façon top down au sein de l'entreprise des décisions de changement impulsées par la direction générale, en essayant d'impliquer aux mieux le management et les collaborateurs.

Ce qui se joue aujourd'hui est un procesus d'évolution adaptative accéléré, par nature global et complexe.

Dans une vision systémique, la transformation ne se limite pas à l'organisation, aux pratiques managériales ou aux process de travail : elle concerne les individus en tant que personnes, les différents collectifs et leur imbrication, l'entreprise elle-même dans son business model, sa culture, sa relation à l'humain.

Ceci ne signifie pas forcément que l'approche doive être globale et complexe, bien au contraire.

Même si le niveau global de complexité croît, la nature nous enseigne que la réponse à l'évolution adaptative résulte plutôt de la multiplication de solutions ingénieuses et simples, convergentes dans leurs intentions, le facteur temps jouant un rôle essentiel dans la survie ou la disparition.

Elle nous enseigne également que les périodes d'accélération de l'évolution adaptative, se traduisent par une remise en cause non négociable du couple compétition/coopération : augmentation drastique du niveau de coopération, apparition de nouveaux modes et territoires de compétition.

Plus que de vouloir orchestrer le changement à partir d'un point de vue unique, il s'agit surtout d'identifier et de faciliter à partir des acteurs eux-mêmes, les leviers d'évolution adaptative les plus opérants à court terme : modes de travail, compétences, talents, technologies, innovations.

Une diffusion organique de la transformation requiert néanmoins plusieurs conditions fondamentales :

- une conscience claire et partagée des enjeux, non seulement pour l'entreprise au global mais aussi pour chaque fonction/métier,

- la libération des capacités d'initiative individuelle et d'auto-détermination,

- l'élévation non négociable des niveaux de coopération.

Mais la transformation s'inscrit dans un dessein plus structurant, qui constitue sa colonne directrice et détermine sa trajectoire : la bonne dynamique d'alignement entre business model, culture d'entreprise et relation à l'humain.

CREER LA BONNE DYNAMIQUE D'ALIGNEMENT.

L'entreprise est d'autant plus forte dans sa transformation qu'elle travaille son propre alignement.

Alignement entre business model, postures et pratiques attachées à sa culture, relation à l'humain enfin -qui en représente la manifestation la plus sensible et la plus achevée.

À l'instar des enjeux de transformation concernant chacune et chacun d'entre nous en tant que personnes conscientes, cet alignement n'est ni un état, ni le résultat de process prédéterminés.

Il s'agit plutôt d'une capacité d'ajustement au monde, dans une dialectique influenceur/influencé, ainsi que de la recherche de points d'équilibre entre des tensions issues d'enjeux paradoxaux, génératrices d'alternatives permanentes (voir à ce sujet l'excellent article dans le dernier numéro de Harvard Business Revue "stratégies pour un futur aléatoire").

Susciter la bonne dynamique d'alignement entre business model, expression de la culture de l'entreprise, relation à l'humain, c'est constituer la ligne de force de la transformation, une colonne directrice permettant de travailler la trajectoire et les articulations.

Cette dynamique d'alignement procède de la volonté concertée des dirigeants et de la mobilisation de l'intelligence collective.

Le rôle des DRH est d'en activer la conscience et d'en promouvoir la mise en œuvre, en tant qu'experts de l'humain, de la socio-dynamique de l'organisation, en tant que garants des équilibres fragiles entre le business et l'humain.

Facilitateurs plus que leaders de cette dynamique d'alignement, les DRH ont la responsabilité première d'œuvrer à la stimulation de l'intelligence collective et à l'élévation drastique du niveau de coopération, sans lesquels celle-ci ne saurait réellement exister.

LA RELATION A L'HUMAIN, CARTE MAITRESSE.

La relation à l'humain constitue l'alpha (pourquoi ?) et l'oméga (comment ?) de la transformation, qu'il s'agisse de la relation aux clients ou aux collaborateurs de l'entreprise.

Si l'on prend l'exemple de la transformation digitale, celle-ci recentre fondamentalement l'entreprise sur la nature et les modalités de sa relation aux clients (relation augmentée des données et de l'IA), ainsi que sur la nature et les modalités de sa relation à ses propres collaborateurs (impact sur les modes de travail et d'organisation, sur les compétences, etc.).

Ce que l'on appelle la symétrie des attentions (ou des intentions), peut ainsi jouer un rôle de levier déterminant dans la réussite de la transformation, en sollicitant dans un effet miroir l'expérience client et l'expérience collaborateurs.

L'entreprise se voit challengée dans ses aptitudes collectives : coopération, empathie, auto-détermination des acteurs.

Cela signifie-t-il pour autant que les transformations en cours aboutissent à ce que l'humain deviendrait le déterminant majeur de l'entreprise dans sa stratégie, ses choix, son comportement au quotidien et sa relation à son écosystème ?

Il faut nuancer pour quelques raisons :

  • l'impact des technologies sur l'humain : bien devin celle ou celui qui oserait parier sur le dénouement du match entre l'intelligence artificielle et l'humain, si tant est qu'il y en ait un ou que celui-ci soit un artefact lié au manque de projection sur nos propres capacités cognitives.
  • la course de la reine rouge qui accélère son rythme, assurant une forme d'homéostasie entre destruction et création de richesse, profits minoritaires et bénéfices sociétaux, compétition et coopération, nature et progrès, humain et inhumain.
  • l'humain même dans sa complexité et ses paradoxes : la sommes des intérêts individuels ne constituera jamais l'intérêt collectif, de même que le consommateur, le travailleur et le citoyen ne s'accordent pas forcément dans le même individu,

Le sort de la fonction RH ancrée à la réalité de l'humain dans l'entreprise, est bien de se situer au beau milieu de ces attentes et de ces paradoxes, d'en être tout à la fois et de façon souvent consciente, les héros, les victimes et les médiateurs.

HEROS, VICTIME, OU MEDIATEUR ?

Les histoires d'échec sont toujours intéressantes à raconter, surtout lorsque le chemin conduisant à l'échec est celui d'une apparente réussite.

A l'occasion d'une tentative de transformation ambitieuse, j'ai le souvenir d'avoir expérimenté de façon marquante cette position de héros, victime, médiateur.

Le point de départ est une histoire de hacking et d'innovation RH.

1500 techniciens répartis dans 300 laboratoires. Vient une réorganisation visant à réorientant le quart des effectifs dans des nouveaux emplois sur l'amont. Forte pression de la charge de travail, appétence relative pour ces nouveaux emplois.

L'idée : transformer la contrainte en opportunité audacieuse en proposant aux volontaires un plan de développement associant l'acquisition de nouvelles expertises (liées au numérique), à l'accès à une promotion en tant que project leader technique.

Au cœur du dispositif, un programme d'action learning impliquant dans une étroite coopération techniciens, tuteurs experts et managers, apportant un triple bénéfice : 1/ pour les projets d'innovation qui voient leurs objectifs de performance renforcés, 2/ pour les bénéficiaires du programme promis à une promotion, 3/ pour les modes de travail qui deviennent beaucoup plus collaboratifs et transversaux.

Les managers les plus aptes à la transformation s'engagent dans ce plan, les partenaires sociaux y trouvent une avancée (le plan est accompagné d'un nouvel accord de classification), la direction y voit un levier positif pour sa réorganisation.

L'approche est plébiscitée, une première promotion de leaders techniques est assurée et promue, puis une deuxième.

Puis l'humain, les aspects de sociologie de l'organisation (le dispositif impacte le statu quo au sein des laboratoires), le cadre paradoxal d'un management intermédiaire coincé entre objectifs court terme et enjeux de développement humain, reprennent leurs droits.

L'expérience fera long feu, bien que tous s'accordent sur les vertus profondément transformatrices du dispositif, tant au plan de la performance collective qu'au plan social et humain.

Beaucoup d'explications bien sûr : c'était trop tôt, pas assez d'impulsion de la DG, de nouvelles priorités de transformation, un DRH (moi en l'occurence) n'ayant pas suffisamment négocié toutes les conséquences avec les patrons, un investissement en temps de formation trop lourd, etc,

Tout ceci est sûrement vrai mais le propos n'est pas là : dans cette exemple, le DRH a été à la fois héros, victime et médiateur de l'effort de transformation, à l'épicentre des contradictions et des paradoxes de l'entreprise.

Le fait pour les DRH d'être conscient de cette réalité, doit justement leur permettre de s'engager dans une intense politique de coopération (les anticorps à la transformation s'infiltrent dans toutes les failles de coopération et s'en nourrissent), d'affiner et de sécuriser leur stratégie, d'assumer cette posture de médiateurs pour être reconnus comme les interlocuteurs légitimes.

Médiation ne signifie pas cependant, absence de convictions. Quels que soient les enjeux de la transformation, le DRH est bien plus qu'un "facilitateur". Il doit lui-même porter une ambition et une vision transformatrices, portant plus loin la synthèse des enjeux business et humains.

Pour les DRH, la transformation suppose une ambition mais elle se nourrit aussi d'une éthique.

LE CHEMIN DE L'EFFICACITE EST AUSSI CELUI DE L'ETHIQUE.

L'éthique peut se définir comme une réflexion et des principes d'action, issus d'une construction normative ou dialectique, permettant de dénouer des conflits, des paradoxes ou des contradictions mettant en jeu l'humain, les valeurs, les engagements moraux.

Dans un monde où transparence et interdépendances sont de plus en plus fortes, le chemin de l'efficacité dans la transformation est aussi celui de l'éthique.

L'éthique est indissociable de la confiance, nœud gordien de toute transformation.

La transformation digitale pose ces questions d'éthique dans plusieurs dimensions de ses relations à l'humain.

Dans sa relation aux consommateurs, celle-ci opére en apparence un rééquilibrage au profit du consommateur, sous réserve de l'éthique observée dans l'usage des données et des algorithmes.

Idem concernant les collaborateurs de l'entreprise, eu égard au développement rapide de l'intelligence artificielle dans les processus de recrutement et probablement bientôt de développement.

Une éthique de la transformation nécessite de travailler sur la mise en correspondance des enjeux business, humains et sociétaux, pouvant aller jusqu'à impliquer une réflexion sur l'évolution de la gouvernance de l'entreprise, de son système de répartition de la création de valeur, des éléments constitutifs de son contrat social.

Elle nécessite en priorité et c'est souvent la principale pierre d'achoppement, de travailler sur la posture et les aptitudes propres des dirigeants.

Le DRH doit en avoir pleinement conscience de l'ensemble de ces enjeux, afin d'aiguiser sa réflexion sur la dynamique d'alignement évoquée plus haut, de nourrir sa dialectique vis-à-vis des différentes parties prenantes et d'identifier les freins qui pourraient se situer bien en amont de l'objet de la transformation lui-même.

Si l'entreprise est bien une aventure économique, humaine et technologique, le socle de sa construction demeure un contrat social.

INNOVER, POUR TISSER ET RETISSER LE CONTRAT SOCIAL

Ce contrat social ne peut pas constituer la dernière roue du carosse de la transformation comme l'ont montré les récents déboires d'Über. De la vitalité, de la lisibilité de celui-ci, dépendent le niveau d'engagement et de projection dans l'avenir des collaborateurs de l'entreprise.

C'est sur ce terrain que l'innovation RH doit pleinement jouer, en remplaçant une posture réactive par une capacité d'innovation collaborative accompagnant les enjeux et les avancées de la transformation.

Développement des compétences, préservation de l'employabilité, mobilité, politiques de reconnaissance et de rétribution, libération des aptitudes individuelles et collectives, élévation des niveaux d'autonomie et d'auto-organisation, autant de champs d'innovation permettant de tisser ou de retisser le contrat social, à la mesure des transformations en cours.

L'ampleur des transformations en cours, rebat incontestablement les cartes et challenge le rôle des DRH dans son rôle.

Dans cette période d'intensification et d'accélération de l'évolution adaptative des entreprises, ceux-ci doivent situer leur contribution au bon niveau, en créant une dynamique d'alignement, en étant les garants et les promoteurs de la relation à l'humain, en assumant une éthique, en osant l'innovation indispensable à la vitalité du contrat social.

Leur posture est plus que jamais déterminante, afin que la transformation ne soit pas une course effrénée à la reine rouge -mais une source de progrès à l'échelle de l'entreprise et de la société.

 

Les DRH face aux enjeux de la transformation : rôle et légitimité ?
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